Le Conseil d’État confirme le rejet des demandes d’un héritier contestant des saisies administratives à tiers détenteur (SATD) émises pour recouvrer des impôts locaux (taxe foncière et taxe d’habitation sur logements vacants) dus par la défunte dont il hérite. La décision précise l’articulation entre le contentieux du recouvrement fiscal (article L. 281 du LPF) et le droit civil de la succession (article 877 du code civil). Elle rappelle que la contestation d’un acte de poursuite fondée sur un défaut de signification du titre exécutoire au successeur du défunt relève de la compétence du juge judiciaire. En outre, lorsque les SATD ont été levées avant la saisine du juge, la contestation est dépourvue d’objet. L’arrêt illustre la distinction entre assiette et recouvrement, ainsi que la limite de compétence du juge administratif dans le contentieux de l’exécution fiscale.
Faits
À la suite du décès de Mme A. B., redevable de taxe foncière (2018–2021) et de taxe d’habitation sur les logements vacants (2017–2021), son héritier, M. C. B., reçoit une mise en demeure de payer en date du 10 septembre 2021. L’administration engage ensuite, le 6 juillet 2022, quatre SATD sur les comptes bancaires de M. B. pour recouvrer ces impôts.
M. B. saisit le tribunal administratif de Rouen, demandant la décharge de l’obligation de payer, la restitution des sommes prélevées et le remboursement des frais bancaires, assortis d’intérêts moratoires. Le TA rejette ses demandes (jugement du 29 mars 2024), considérant notamment que les saisies avaient été levées avant la requête, privant le recours d’objet. M. B. forme alors un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.
Questions de droit
L’affaire soulevait plusieurs questions d’interprétation fiscale et procédurale :
- Quelle juridiction est compétente pour connaître d’une contestation relative à la signification du titre exécutoire à l’héritier (article 877 du code civil) dans le cadre d’un recouvrement fiscal ?
- La mainlevée des saisies administratives avant la saisine du juge rend-elle la demande sans objet ou subsiste-t-il un intérêt à agir, notamment au regard de l’effet interruptif de prescription des SATD ?
- Le contribuable peut-il obtenir remboursement des frais bancaires prétendument liés aux saisies si leur preuve n’est pas rapportée ?
Position du juge
1. Sur la régularité du jugement du TA
Le Conseil d’État rejette le moyen tiré d’un vice de procédure. Il rappelle que le juge administratif n’a pas l’obligation de mentionner dans son jugement la communication du moyen soulevé d’office (art. R. 611-7 CJA), ni de viser tous les mémoires lorsqu’un mémoire récapitulatif ultérieur les reprend. Le jugement du TA n’est donc pas entaché d’irrégularité.
2. Sur la compétence juridictionnelle
Le Conseil d’État s’appuie sur l’article L. 281 du LPF, qui distingue deux catégories de contestations dans le contentieux du recouvrement :
- celles relatives à la régularité en la forme de l’acte de poursuite, relevant du juge de l’exécution (ordre judiciaire) ;
- celles portant sur l’existence, le montant ou l’exigibilité de la dette fiscale, relevant du juge administratif.
Or, M. B. soutenait que les SATD étaient irrégulières faute de signification du titre exécutoire à son égard, comme le prévoit l’article 877 du code civil (« le titre exécutoire contre le défunt l’est aussi contre l’héritier huit jours après signification »).
Cette irrégularité est une question de forme de l’acte de poursuite, non d’assiette, et relève donc du juge judiciaire.
Ainsi, le TA de Rouen était incompétent pour en connaître, et son jugement est confirmé sur ce point.
3. Sur la perte d’objet liée à la mainlevée des SATD
Le Conseil d’État rappelle qu’en vertu de la jurisprudence issue de l’article L. 281 du LPF, si les actes de poursuite contestés ont été abandonnés avant la saisine du juge et n’ont produit aucun effet, la contestation devient sans objet.
M. B. invoquait que les SATD avaient néanmoins interrompu la prescription de l’action en recouvrement, de sorte que l’intérêt à agir demeurait.
Mais le Conseil d’État précise qu’il n’appartient pas au juge de l’impôt d’annuler les SATD pour effacer leur effet interruptif : cela reviendrait à empiéter sur la compétence du juge judiciaire.
Le tribunal a donc à bon droit déclaré les conclusions irrecevables comme privées d’objet.
4. Sur la portée des mises en demeure et la dénaturation des faits
M. B. soutenait que la mise en demeure du 10 septembre 2021 ne concernait pas toutes les impositions visées, notamment la taxe d’habitation 2018. Le Conseil d’État reconnaît que la pièce administrative le montre, mais relève que ce point est sans incidence : le moyen invoqué (absence de signification du titre exécutoire) demeure de la compétence du juge judiciaire.
5. Sur les frais bancaires
Le Conseil d’État confirme enfin que le requérant n’a pas prouvé avoir supporté de frais bancaires liés aux SATD. Le TA a pu rejeter ses conclusions sur ce point sans erreur de droit.
Solution
Le pourvoi de M. B. est rejeté.
Le Conseil d’État confirme :
- la compétence du juge judiciaire pour les contestations relatives à la signification du titre exécutoire à l’héritier (art. 877 C. civ., combiné à L. 281 LPF) ;
- la perte d’objet d’un recours lorsque les SATD ont été levées avant la saisine, ces actes n’ayant produit aucun effet recouvratoire ;
- l’impossibilité pour le juge administratif de neutraliser l’effet interruptif de prescription d’une SATD annulée ;
- le rejet des demandes indemnitaires faute de preuve des frais.