L’affaire portait sur la qualification fiscale, en droit français, d’une société de droit britannique, Joy Events, constituée sous la forme de « private limited company by shares ». L’administration fiscale française avait soumis cette société à l’impôt sur les sociétés (IS) et à la retenue à la source prévue par l’article 119 bis du Code général des impôts (CGI), au motif qu’elle exerçait une activité en France.
La question centrale était de déterminer à quelle forme sociale française cette société étrangère devait être assimilée : société à responsabilité limitée (SARL) ou société par actions simplifiée (SAS), cette assimilation conditionnant son régime fiscal (imposition à l’IS ou à l’impôt sur le revenu).
Le Conseil d’État juge que la société Joy Events doit être assimilée à une SARL unipersonnelle (EURL) relevant de l’article 8 du CGI, et que, faute d’option pour l’impôt sur les sociétés, ses bénéfices sont imposables à l’impôt sur le revenu au nom de son associé unique, personne physique. Cette solution exclut donc toute imposition à l’IS et toute retenue à la source.
Litige
La société Joy Events, de droit britannique, exerce une activité d’organisation d’événements et de mise à disposition de locaux. Son capital est détenu par un unique associé, une personne physique non résidente. À la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration française a estimé que cette société devait être imposée en France à l’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016, et soumise à la retenue à la source prévue par l’article 119 bis du CGI sur les bénéfices réputés distribués.
La société a saisi le tribunal administratif de Nice, qui, par jugement du 30 mars 2021, a prononcé la décharge de l’IS et de la retenue à la source en litige, estimant que la société devait être assimilée à une SARL unipersonnelle et que ses bénéfices relevaient de l’impôt sur le revenu entre les mains de son associé.
Le ministre de l’économie et des finances a interjeté appel, mais la cour administrative d’appel de Marseille, par un arrêt du 5 octobre 2023, a confirmé le jugement. Le ministre s’est alors pourvu en cassation devant le Conseil d’État.
Questions
Deux questions principales étaient soumises au Conseil d’État :
- À quelle forme de société française une “private limited company by shares” de droit britannique doit-elle être assimilée pour déterminer son régime fiscal en France : à une SARL ou à une SAS ?
- En cas d’assimilation à une SARL unipersonnelle, les bénéfices réalisés en France par cette société doivent-ils être imposés à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu au nom de l’associé unique, en application de l’article 8 du CGI ?
Position du juge
Le Conseil d’État rappelle d’abord qu’il appartient au juge de l’impôt, saisi d’un litige concernant une société étrangère, d’identifier la forme sociale française la plus proche, en se fondant sur les caractéristiques juridiques de la société étrangère et sur le droit qui régit sa constitution et son fonctionnement. Cette qualification permet ensuite de déterminer le régime fiscal applicable selon le droit interne français.
La cour administrative d’appel avait estimé que Joy Events, constituée sous forme de private limited company by shares, présentait des traits communs à la fois avec la SARL et avec la SAS, mais l’avait assimilée à une SARL, en raison du principe d’égalité des parts sociales (« shares ») donnant droit à une voix et à un dividende égal.
Le Conseil d’État censure toutefois ce raisonnement, considérant que la cour a commis une erreur de droit : l’absence d’actions de préférence ne saurait être un critère déterminant pour distinguer une SAS d’une SARL, car l’émission d’actions de préférence n’est qu’une faculté offerte aux SAS par l’article L. 228-11 du Code de commerce et non une obligation. Ce critère ne peut donc être retenu, surtout dans le cas d’une société à associé unique où il n’existe qu’un seul détenteur du capital.
Toutefois, statuant au fond, le Conseil d’État constate que la société Joy Events a adopté les statuts types (« model articles ») prévus par le Companies Act 2006 pour les « private companies limited by shares » et que ces statuts ne traduisent pas la liberté statutaire caractéristique des SAS françaises. La société doit donc être assimilée à une SARL.
Dès lors que son associé unique est une personne physique et qu’elle n’a pas opté pour l’impôt sur les sociétés, ses bénéfices sont imposables, conformément à l’article 8 du CGI, à l’impôt sur le revenu entre les mains de cet associé. Il s’ensuit également que les articles 115 quinquies et 119 bis du CGI, relatifs à la retenue à la source sur les bénéfices réputés distribués à des non-résidents, ne trouvent pas à s’appliquer.
Solution
Le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 5 octobre 2023 pour erreur de droit, mais, statuant au fond, rejette l’appel du ministre.
Il confirme ainsi le jugement du tribunal administratif de Nice, qui avait accordé la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés, de la retenue à la source et des pénalités correspondantes à la société Joy Events.
En conséquence, la société Joy Events est assimilée à une SARL unipersonnelle, dont l’associé unique est une personne physique. Ses bénéfices sont imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, et non à l’impôt sur les sociétés. Aucune retenue à la source ne peut être appliquée sur les bénéfices réputés distribués.
Cette décision précise la méthode d’assimilation fiscale des sociétés étrangères au regard du droit français : elle doit s’opérer selon les caractéristiques juridiques réelles de la société et non sur des critères formels ou accessoires. Elle réaffirme également la portée de l’article 8 du CGI pour les SARL unipersonnelles dont l’associé unique est une personne physique, confirmant que leurs bénéfices relèvent de l’impôt sur le revenu sauf option expresse pour l’impôt sur les sociétés.