Commissions en espèces perçues par un dirigeant : qualification en revenus distribués occultes

Le litige concerne des suppléments d’impôt sur le revenu, de contributions sociales (2009–2015) et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (2011–2012) mis à la charge d’un dirigeant, à raison de sommes en espèces qualifiées par l’administration de rémunérations et avantages occultes imposables comme revenus distribués au sens du c de l’article 111 du CGI. Le Conseil d’État valide, d’une part, l’application du délai spécial de reprise de l’article L. 188 C du LPF, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015, aux omissions révélées par une « procédure judiciaire » (enquête de flagrance) intervenue en 2016, et, d’autre part, la méthode de détermination des revenus distribués fondée notamment sur les déclarations pénales du contribuable, sans obligation préalable de rejet de la comptabilité sociale ni d’emploi de plusieurs méthodes de reconstitution. Il confirme aussi l’absence d’atteinte au principe d’impartialité au regard de l’article R*200-1 du LPF.

Faits

À l’issue d’une procédure de rectification contradictoire, l’administration a imposé M. B. à des cotisations supplémentaires sur la base de paiements en espèces versés par des fournisseurs de la société Roussillon Salaisons, dont il était président et actionnaire principal, paiements conservés à son domicile et qualifiés de commissions occultes. Pour 2012 et 2013, l’ouverture du délai de reprise a été rattachée à un bulletin de signalement du 20 février 2016 émanant du groupement d’intervention régional de la gendarmerie, dans le cadre d’une enquête de flagrance, avec procès-verbaux d’audition faisant état du schéma occulte. Le tribunal administratif de Montpellier a rejeté les demandes de décharge (deux jugements du 20 juin 2022). La cour administrative d’appel de Toulouse a, le 25 janvier 2024, constaté un non-lieu partiel (dégrèvement intervenu en cours d’instance) et rejeté le surplus. M. B. s’est pourvu en cassation contre les deux arrêts.

Questions

La première question portait sur l’impartialité au sens de l’article R*200-1 du LPF : un magistrat ayant présidé la commission départementale des impôts de la société peut-il siéger comme rapporteur dans le contentieux d’impositions personnelles du dirigeant, portant sur des années et impôts distincts ?

La deuxième question concernait l’étendue temporelle du droit de reprise pour l’impôt sur le revenu au regard de l’article L. 188 C du LPF, dans sa version issue de la loi du 29 décembre 2015, et l’applicabilité du délai décennal aux omissions révélées par une « procédure judiciaire » antérieure à toute instance pénale.

La troisième question visait la qualification et la preuve de revenus distribués au sens du c de l’article 111 du CGI, la pertinence d’une reconstitution appuyée sur des déclarations pénales et l’éventuelle nécessité de rejeter au préalable la comptabilité de la société ou d’appliquer plusieurs méthodes.

Position du juge

Sur l’impartialité, le Conseil d’État retient que l’article R*200-1 du LPF interdit à un membre d’un tribunal ou d’une cour de siéger dans le jugement d’un litige portant sur une imposition dont il a eu à apprécier la base comme président de la commission visée à l’article 1651 du CGI. Il juge que cette règle, qui concrétise le principe d’impartialité, n’est pas méconnue lorsque le magistrat, président de la commission ayant connu des bases de l’IS de la société, intervient ensuite comme rapporteur dans une affaire distincte portant sur l’IR, les contributions sociales et la CEHR d’un autre redevable (le dirigeant), pour des années différentes et des impositions de nature différente. Les affaires ne sont pas « les mêmes » au sens du texte : il n’y a donc pas d’atteinte à l’impartialité.

Sur le délai de reprise, la Haute juridiction rappelle le principe triennal de l’article L. 169 du LPF pour l’IR, puis l’économie de l’article L. 188 C. Dans sa version issue de la loi du 29 décembre 2012, le texte réservait le délai spécial aux omissions « révélées par une instance ». La loi du 29 décembre 2015 a étendu ce délai décennal aux omissions « révélées par une procédure judiciaire », avant même l’ouverture d’une instance, y compris en enquête de flagrance, d’enquête préliminaire ou lors de l’examen des poursuites. Applicable aux délais venant à expiration à compter du 30 décembre 2015, cette version s’applique ici, la révélation datant de février 2016. En constatant que les éléments ont été révélés par une enquête de flagrance matérialisée par un bulletin de signalement du 20 février 2016 et des auditions, la cour a légalement justifié l’usage du délai de l’article L. 188 C pour 2012 et 2013, sans exiger l’existence d’une « instance » pénale.

Sur la qualification des revenus distribués, le Conseil d’État rappelle l’article 111, c du CGI : sont considérés comme revenus distribués les rémunérations et avantages occultes. Au vu des déclarations pénales du dirigeant, reconnaissant un système de commissions occultes en espèces versées par des fournisseurs étrangers à la société et encaissées à titre personnel, l’administration pouvait regarder les sommes perçues par M. B. comme des rémunérations et avantages occultes imposables entre ses mains. La cour n’a ni dénaturé les faits ni commis d’erreur de droit en admettant que l’administration pouvait se fonder notamment sur ces déclarations pour chiffrer les revenus distribués, sans devoir au préalable écarter la comptabilité de la société comme dépourvue de valeur probante ni multiplier les méthodes de reconstitution.

Solution

Les pourvois sont rejetés. Sont confirmés l’absence d’atteinte à l’impartialité au sens de l’article R*200-1 du LPF, l’applicabilité du délai de reprise décennal de l’article L. 188 C du LPF (version 2015) aux omissions révélées par une enquête de flagrance en 2016, et la qualification, sur le fondement du c de l’article 111 du CGI, des sommes perçues en espèces comme revenus distribués imposables entre les mains du dirigeant, la méthode de détermination retenue n’étant ni imprécise ni arbitraire. Les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du CJA sont également rejetées.