Dans le cadre d’une restructuration interne, Sidel Blowing et Services a versé une indemnité à une autre société du groupe, que l’administration a requalifiée en acquisition d’un actif incorporel non déductible. Le Conseil d’État juge que la seule amélioration de la profitabilité ou la compensation d’une perte de source de profits ne suffit pas à qualifier cette somme d’acquisition d’un actif incorporel. Il annule la décision de la cour administrative d’appel et renvoie l’affaire pour nouvelle décision.
Litige
Dans le cadre d’une restructuration interne du groupe Sidel, la société française Sidel Blowing et Services a conclu en octobre 2014 un accord avec la société italienne Sidel SpA. Cet accord prévoyait que Sidel Blowing et Services s’approvisionnerait désormais directement en pièces détachées auprès des fournisseurs du groupe, sans passer par Sidel SpA, et qu’elle deviendrait seule responsable de la vente de l’ensemble des produits et services du groupe à l’international (hors Italie). En contrepartie, Sidel Blowing et Services a versé à Sidel SpA une indemnité de 8 millions d’euros, calculée sur la base du manque à gagner de Sidel SpA. À la suite d’un contrôle fiscal, l’administration a refusé la déduction de cette indemnité en charges, considérant qu’elle correspondait à l’acquisition d’un actif incorporel devant être inscrite à l’actif immobilisé. Elle a donc réintégré la somme au résultat fiscal de Sidel Blowing et Services et du groupe fiscalement intégré dont Sidel Holding est la société mère, entraînant des rappels d’impôts (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, taxe additionnelle, frais de gestion). Les sociétés Sidel Blowing et Services et Sidel Holding ont contesté ces redressements devant le tribunal administratif de Montreuil, puis devant la cour administrative d’appel de Paris, qui ont rejeté leurs demandes. Elles se sont pourvues en cassation devant le Conseil d’État.
Questions
Le litige posait principalement deux questions de droit : la somme versée par Sidel Blowing et Services à Sidel SpA dans le cadre de la restructuration constitue-t-elle une charge déductible ou l’acquisition d’un actif incorporel devant être immobilisé ? L’administration fiscale était-elle fondée à réintégrer cette somme dans le résultat fiscal et la valeur ajoutée de la société et du groupe ?
Position du juge
Le Conseil d’État rappelle les principes suivants : selon l’article 38 du CGI, le bénéfice net est déterminé par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de l’exercice. Selon le plan comptable général, un actif est un élément identifiable du patrimoine générant des avantages économiques futurs pour l’entité. Une immobilisation incorporelle est identifiable si elle est séparable ou résulte d’un droit légal ou contractuel. Le Conseil d’État précise que le seul fait qu’une somme compense, pour la partie qui la reçoit, la disparition d’une source pérenne de profits ne suffit pas à caractériser, pour la partie versante, l’acquisition d’un nouvel élément d’actif. Ainsi, le fait qu’une société améliore sa profitabilité en s’approvisionnant directement auprès de fournisseurs, sans passer par une autre société du groupe, ne permet pas de considérer que toute indemnité versée dans ce cadre correspond à l’acquisition d’un actif incorporel. En l’espèce, la cour administrative d’appel a jugé que l’indemnité versée par Sidel Blowing et Services devait être regardée comme le prix du transfert d’une activité bénéficiaire (approvisionnement en pièces détachées), et donc comme l’acquisition d’un actif incorporel. Cependant, le Conseil d’État estime que les seules constatations de la cour (existence d’avantages économiques futurs et absence de clientèle nouvelle) étaient insuffisantes pour caractériser l’acquisition d’un élément de patrimoine identifiable et ayant une valeur économique positive pour la société versante. La cour a donc commis une erreur de droit en retenant l’existence d’un actif incorporel sur ces seuls fondements.
Solution
Le Conseil d’État annule les arrêts de la cour administrative d’appel de Paris du 10 avril 2024 et renvoie les affaires devant cette cour pour qu’elle statue à nouveau. Il condamne également l’État à verser 2 000 euros à chacune des sociétés requérantes au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.