Précompte mobilier et chaînes transfrontalières : responsabilité de l’État en cas de non-imputation des impôts amont

Le contentieux vise la réparation du refus étatique de restituer intégralement le précompte mobilier acquitté par Accor lors de la redistribution de dividendes intra-UE. Le cœur du débat est fiscal : articulation des articles 158 bis, 216, 223 sexies et 146, 2 du CGI (avoir fiscal, régime mère-fille, précompte et mécanisme d’imputation sur cinq exercices) avec la directive 90/435/CEE (art. 4) et les libertés du TFUE (art. 49 et 63). La cour écarte la voie indemnitaire « miroir » d’une restitution déjà tranchée par le juge de l’impôt, mais retient la responsabilité de l’État pour le manquement constaté par la CJUE (C-416/17) relatif à la non-prise en compte de l’imposition supportée par les sous-filiales non résidentes dans le calcul du remboursement du précompte : indemnisation strictement cantonnée à la fraction de précompte non restituée qui aurait été neutralisée en chaîne interne au regard des règles du CGI (art. 146, 2 et 223 sexies).

Faits Accor perçoit en 1998-2000 des dividendes de filiales établies dans d’autres États membres. Lors de leur redistribution, elle acquitte le précompte en application du CGI : l’avoir fiscal (art. 158 bis, I) est neutralisé par le précompte dû sur des distributions prélevées sur des résultats non soumis au taux normal de l’IS (art. 223 sexies, 1), tandis que le régime mère-fille (art. 216) en neutralise la double imposition au niveau de la société mère et que l’article 146, 2 permet de diminuer le précompte par les crédits d’impôt attachés aux produits de participation encaissés au cours des cinq exercices précédents. Par décisions CE 3 juill. 2009 et 10 déc. 2012 (référence 317075), le Conseil d’État a, après renvoi préjudiciel, jugé le régime contraire aux art. 49 et 63 TFUE, tout en remettant à la charge d’Accor des montants résiduels. Accor sollicite ensuite une indemnité égale, à titre principal, à la restitution intégrale des précomptes 1999-2001 (et intérêts), subsidiairement la part liée à 2000 (chaîne CIWLT → Accor). Le TA rejette ; la CAA statue après annulation partielle pour omission à statuer.

Questions de droit La cour devait, au regard des règles du CGI, trancher :

 

Position du juge Sur la régularité, la cour annule le jugement en tant qu’il a omis de statuer sur la responsabilité liée à la contrariété des dispositions du CGI (précompte) et à leur mise en œuvre. S’agissant de la responsabilité du fait de la décision juridictionnelle de 2009, la cour écarte toute violation manifeste du droit de l’Union : à la date de la décision, l’inclusion de la redistribution dans le champ de l’art. 4 de la directive 90/435 n’était pas clairement établie ; le Conseil d’État avait saisi la CJUE sur les libertés du traité. Sur la responsabilité du fait de l’activité normative et de l’application : lorsque l’« indemnité » demandée réplique la restitution du précompte déjà définitivement jugée (CE 10 déc. 2012), la demande est irrecevable (exception de recours parallèle), car elle ne vise aucun autre préjudice distinct du paiement du précompte. En revanche, au titre du manquement constaté par C-416/17, la cour retient que l’exécution de cet arrêt imposait de réparer le défaut de prise en compte de l’imposition des sous-filiales non résidentes pour déterminer la fraction de précompte à restituer. Fiscalement, il s’agit de reconstituer la chaîne interne et d’identifier, selon la mécanique du CGI, quelle part d’impôt amont (ici, celui d’Accoordination, sous-filiale de CIWLT) aurait été convertie en crédit imputable et venue diminuer le précompte (art. 146, 2 et 223 sexies), compte tenu aussi du taux normal de l’IS français applicable. Sur pièces, l’impôt effectivement acquitté par Accoordination en Belgique sur la période pertinente s’élève à 880 054 € ; compte tenu du taux normal français (33,33 %), inférieur au taux belge, la fraction imputable (celle qui, en France, aurait gagé la diminution du précompte au sens des art. 146, 2 et 223 sexies) est arrêtée à 293 322 €. Les intérêts moratoires reversés, pour la portion afférente à cette somme, constituent également un préjudice fiscal puisqu’ils auraient été conservés en l’absence de manquement. Des intérêts au taux légal courent en outre à compter du 31 décembre 2014 (réception de la demande par l’administration).

Solution La cour réforme le jugement du TA pour omission à statuer, rejette la voie indemnitaire équivalant à une restitution générale du précompte déjà jugée, mais condamne l’État à verser à Accor 293 322 €, augmentés des intérêts moratoires afférents à cette somme et des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014 ; le surplus des conclusions est rejeté ; 1 500 € sont alloués sur le fondement de l’article L. 761-1 CJA. Justification fiscale : l’indemnisation est strictement indexée sur la logique du CGI—conversion de l’impôt amont en crédit imputable sur le précompte (art. 146, 2 et 223 sexies)—telle qu’elle doit jouer aussi lorsque la chaîne comporte des entités non résidentes, conformément à C-416/17. Elle n’ouvre ni droit à une restitution intégrale hors des règles d’imputation du CGI, ni à une rediscussion des chefs définitivement tranchés par le juge de l’impôt.